Depuis quelques années, je note avec inquiétude l’évolution de la dérive verbale, sur les réseaux sociaux, contre le Haut Ogooué et les frères altogovéens. Natif de la province de l’Ogooué lolo et pour avoir passé l’essentiel de ma jeunesse dans le Haut Ogooué, j’ai la tristesse de constater que ce procès en sorcellerie découle, à mon humble avis, d’une méconnaissance des réalités de cette partie du pays.
Beaucoup des jeunes compatriotes ignorent malheureusement que la province du Haut Ogooué fait partie de celles qui ont payé le plus lourd tribut du règne des Bongo au Gabon. Plusieurs dignes fils de cette province ont été, soit assassinés, soit contraints à l’exil pour des raisons politiques ou autres: Djoué Dabany, Ndouna Dépenault, le capitaine Alexandre Mandza Ngokouta, Ossiali Ongaï, Adimina Lekamba, Antoine Ayatsou et que sais-je encore.
Aussi, faudrait-il ajouter que l’action de l’Opposition, dont certains militants s’insurgent aujourd’hui contre les altogoveens et le province du Haut Ogooué, n’a connu de l’ampleur dans les années 90 que parce qu’un fils du Haut Ogooué, Jean Pierre Lemboumba Lepandou, avait consenti à se dépouiller de sa fortune pour assurer le financement de plusieurs activités de ce camp politique?
Aurions-nous besoin d’amener tous les gabonais dans le Haut Ogooué pour se rendre compte que même aujourd’hui en 2019, existe t-il encore dans cette province des maisons couramment appelées « tole en haut, tole en bas » et que le niveau de pauvreté dans cette partie du pays est quasiment le même que dans le reste du territoire national?
En écoutant les critiques sur le Haut Ogooué et les altogovéens, je me suis toujours demandé en quoi la prison politique de Pascal Oyougou, par exemple, ou l’exil politique d’Alfred Nguia Banda, sont-ils moins pénibles que ceux de Bertrand Zibi, de Frédéric Massavala, de Désiré Emane ou de Laurence Ndong? Pourquoi l’heroïsme de ces compatriotes du Haut Ogooué ne mériterait-il pas d’être loué par toute la communauté résistante nationale?
Je note que depuis 1993, les élections présidentielles sont organisées au Gabon, soit par le ministère de l’Intérieur, soit conjointement par ce département ministeriel et la commission nationale électorale, le rôle de la Cour constitutionnelle ne se situant qu’en aval du processus. Or, depuis le retour au multipartisme, les ministres de l’Intérieur ont été, en plus d’Idriss Ngari et de Noël Matha, Antoine Mboumbou Miyakou de la province de la Nyanga, Louis Gaston Mayila, Jean François Ndoungou et Guy Bertrand Mapangou de la Ngounié, André Mba Obame du Woleu Ntem et Pacôme Moubele Moubeya de l’Ogooué-lolo. Dans le même temps, les présidents de la Commission Nationale Electorale ont été Antoine Nguema Essone et Réné Aboghe Ella de la province du woleu ntem.
En quoi la responsabilité de toutes ces personnalités dans les hold up électoraux entegistrés dans notre pays depuis 1990 est moins grande que celle de Madame Marie Madeleine Mbourantsouo? Je ne voudrais pas ici méconnaitre le rôle particulièrement central joué par la Présidente de la Cour Constitutionnelle dans ce que beaucoup qualifient de falsification des résultats électoraux au Gabon. Mais, il me paraît juste de rappeler que son rôle ne se situe qu’en aval du processus, alors que la fraude électorale a toujours été initiée en amont par des compatriotes natifs d’autres provinces, à loccurrence les minitres de l’Intérieur et les différents Présidents de la Commission Nationale Electorale suscités. Si ces compatriotes punu, fang, ndzebi et autres des provinces du woleu ntem, de la Ngounié, de la Nyanga, etc, n’orchestraient pas la fraude électorale en amont, peut-être que Madame Mbourantsouo ne la cautionnerait jamais en aval.
Le plus convainquant encore est que la Cour Constitutionnelle est composée de neuf membres dont un juge par province. Madame Mbourantsouo ne se lancerait jamais seule dans un processus de parodie de justice électorale si les juges représentants les autres provinces étaient determinés à rendre la vraie justice.
Tout ceci pour conclure que le mal du Gabon est loin d’être la Province du Haut Ogooué et les altogovéens qui sont autant que nous otages d’un système Bongo-PDG qui règne sans partage sur le Gabon depuis plus d’un demi siècle et à l’interieur duquel nous trouvons des téké, des fang, des myénè, des punu, etc..
Les délinquants électoraux et financiers au Gabon sont aussi bien dans le Haut Ogooué que partout ailleurs sur le territoire national. Nous ne luttons pas contre une province ou une ethnie, mais contre le système qui, d’année en année, s’enracine dans la mal gouvernance aussi bien politique, économique que financière et réduit le peuple à la pauvreté, voire l’extrême pauvreté.
Madame Marie Madeleine Mbourantsouo n’est pas le Haut Ogooué et ne représente pas les altogovéens à la Cour Constitutionnelle, tout comme Réné Aboghe Ella n’incarnerait jamais la province du Woleu ntem et ne deviendrait jamais le représentant légal des fangs du nord. Dans un Etat de Droit, chaque citoyen majeur pose des actes qui engagent sa responsabilité indivifuelle et non celle de sa province ou son ethnie, encore moins celle de sa famille.
Aussi longtemps que nous dresserons des barrières psychologiques entre le Haut Ogooué et les autres provinces ou entre les altogovéens et les autres compatriotes, nous nous éloignerons toujours de l’idéal national d’unité et de cohesion sociale sans laquelle aucun progrès politique, économique ou social n’est envisageable. Aujourd’hui plus qu’hier, nous avons besoin du Haut Ogooué et des altogovéens pour sortir le pays de l’impasse dans laquelle il se trouve.
J’ai foi en la province du Haut Ogooué et en l’action des altogovéens pour tracer les nouveaux sillons de notre marche commune. Que Dieu bénisse notre Patrie.
Nestor BINGOU,
Magistrat,
Ancien Procureur de la République